Les mystères de la valise mexicaine de Robert Capa


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Après la découverte de la valise mexicaine, en août 2008, Cynthia Young a analysé les trois boîtes en carton et a numérisé les 4500 clichés.
Une exposition sur ce travail et l'oeuvre de Robert Capa, Gerda Taro et David Seymour a été présentée à New-York en 2010, Arles en 2011 et Paris en 2013





Boîte négative vintage verte © International Center of Photography 


L'International center of photography (ICP) de New York a annoncé, dimanche 27 janvier 2008, une belle découverte : trois boites contenant 3500 négatifs pris durant la Guerre d'Espagne, par Robert Capa, considéré comme le plus grand photographe de guerre de l'histoire, Gerda Taro, qui fut sa compagne, et puis David Seymour et Fred Stein.

Une histoire rocambolesque s'achève, une de plus. Car la traque des tirages, des négatifs et des carnets de Robert Capa (1913-1954) a été une des activités favorites de Richard Whelan, le biographe de Capa et conservateur de l'ICP, disparu en mai 2007, et elle continue sans lui.
Lorsque Capa quitte la France en octobre 1939 pour New York, il n'emporte rien - il était dangereux de passer les douanes françaises avec la preuve de son implication dans la guerre d'Espagne qui vient de se terminer et qui l'a rendu célèbre. Il confie ses archives au Hongrois Csiki Weiss, un ami d'enfance de Budapest, qui continua à vivre dans l'atelier de Capa, au 37, rue Froidevaux à Paris. Craignant le déclenchement de la guerre, Csiki Weiss part pour Marseille emportant les fameuses boites de négatifs. Il est alors arrêté comme "étranger indésirable" et placé dans un camp d'internement français de Oued Zem au Maroc.
A l'été 1941, Robert Capa se démène pour obtenir un visa de sortie pour son ami. Il réussit à lui réserver une place sur un bateau, le Serpo Pinto, en partance pour Mexico, où Csiki Weiss arrive en décembre. Quelques mois plus tôt, Fred Stein et David Seymour ont eux aussi réussi à rejoindre le continent américain à bord du Winnipeg. Csiki Weiss confie ensuite les négatifs à un officier consulaire mexicain. Ils vont être oubliés jusqu'en 1994. A cette date, le neveu de la veuve du diplomate, Benjamin N. Traver, écrit à un spécialiste de la guerre d'Espagne du Queen's college de New York, Jerald Green, pour lui faire part de sa découverte et celui-ci en avise Cornell Capa, le frère de Robert. Les négociations vont durer plus de dix ans avant que les négatifs arrivent, dans un état impeccable, à l'ICP. Mais sans que n'y figure le fameux milicien républicain espagnol fauché par une balle, considérée comme la plus célèbre photo de Capa...

Michel Lefebvre

Article paru dans l'édition du Monde datée du 29/01/2008


Reportage de Robert Capa dans le Magazine VU


Depuis la réapparition surprise des négatifs à l’International Center of Photography (ICP) à New York, une onde de choc parcours la planète photographique. Car la découverte de ces films, qui appartiennent tant à Capa, sa compagne Gerda Taro et David ’Chim’ Seymour, relance le débat. L’original de la célèbre photo du soldat espagnol, attribuée à Capa et publiée le 23 septembre 1936 dans le magazine VU, serait-elle parmi les 3.500 négatifs perdus depuis 69 ans ? Pourrait-on clarifier, enfin, l’authenticité du cliché ? Par exemple, dans les Photos Icons (Éd. Taschen, 2002) Hans-Michael Koetzle s’interroge : "comment un homme en train de dévaler une pente et touché par une balle, peut tomber en arrière ?”
La photographie serait-elle mise-en-scène ? Si Richard Whelan s’est longuement interrogé sur ces points, il rejoint Cornell Capa qui administre la succession, en reconnaissant que "vouloir obstinément savoir si la photographie montre réellement un homme fauché par une balle est quelque chose de morbide et qui de plus, n’a aucun intérêt, la grandeur de l’image résidant en dernier lieu dans son potentiel symbolique, et non dans l’exactitude d’un compte-rendu clinique de la mort d’un homme". Reste pourtant à établir qui a vraiment pris l’image, car Brian Wallis, le conservateur en chef de l’ICP a d’ores et déjà évoqué la possibilité que l’emblématique photo qui a rallié les Alliés à la cause républicaine espagnole, soit de Taro et non de Capa…
Une chose est sure, la distribution des clichés de Gerda Taro déjà détenu par l’ICP sera assurée par Magnum, tout comme les images de Capa et de Chim qui seront découvertes dans les valises.  
Article paru sur le site photographie.com le 30.01.08

 


Robert Capa


Robert Capa
[Distribution de nourriture au camp d'internement de réfugiés espagnols, Brême, France], mars 1939
(c) Cornell Capa/International Center of Photography/Magnum
1133 Avenue of the Americas at 43rd Street New York NY 10036 T 212 857 0045 F 212 857 0090 www.icp.org

David Seymour


David Seymour
[Dolores Ibárruri s'exprimant devant une foule de soldats et de civils républicains, Espagne], juillet 1936
(c) David Seymour Estate/Magnum

Gerda Taro


Gerda Taro
[Victimes d'un raid aérien à la morgue de Valence], mai 1937
(c) International Center of Photography/Magnum

Les valises perdues finissent parfois par réapparaître et par révéler leurs secrets.
L'International Center of Photography (ICP) a mené à bien la digitalisation des négatifs des trois valises de Robert Capa réapparues en décembre 2007 après un mystérieux périple (Le Monde du 29 janvier 2008). La principale information qui en sort est la redécouverte du travail de David Seymour, dit Chim, et de Gerda Taro (morte en juillet 1937), qui travaillaient avec Capa durant la guerre d'Espagne (1936-1939).

Sur le même sujet Résumé des épisodes précédents. Devant la menace allemande, Capa quitte Paris précipitamment fin 1939 pour se réfugier aux Etats-Unis. Il part, laissant derrière lui son travail (carnets, négatifs, tirages). Notamment trois valises de négatifs (des boîtes en réalité), dans son studio du 37, rue Froidevaux, dans le 14e arrondissement de Paris, qu'il abandonne à la garde de son assistant, Csiki Weiss. Après de longs détours, les valises se retrouvent aux mains d'un général mexicain, qui se garde bien d'en parler. Quelques décennies plus tard, un héritier du général les rend à l'ICP. Commence alors le travail d'analyse.

On savait qu'il était impropre de parler de valises de Capa, puisqu'il y avait aussi des photographies de David Seymour Chim et de Gerda Taro. La surprise vient des proportions du travail des trois photographes. Selon le communiqué de l'ICP, sur 126 rouleaux de films 35 mm, représentant 4 300 négatifs, 46 peuvent être attribués à Chim, 45 à Capa, 32 à Taro, et 3 à Capa et Taro. Il existe par ailleurs deux rouleaux de portraits réalisés par Fred Stein. L'analyse des boîtes a pris plus d'un an de travail, l'ICP ne voulant prendre aucun risque en manipulant les négatifs, qui avaient passé soixante-dix ans dans l'armoire d'une cave ou d'un grenier, on ne sait pas trop.

Il a fallu dérouler les négatifs sans les endommager grâce à un petit appareil conçu par des ingénieurs pour les faire passer délicatement devant une caméra digitale. Cynthia Young, conservatrice du fonds, explique ce qu'a révélé l'analyse des valises et de leur contenu : "Il y a trois boîtes, une verte, une bordeaux et une petite, qui contient des bandes de négatifs. Les deux premières contiennent des rouleaux de négatifs, chacune accompagnée de légendes écrites à la main. La verte ne renferme que des négatifs de Chim, à l'exception de deux rouleaux. Les légendes correspondantes sont probablement de la main de Chim. Les deux autres contiennent des rouleaux de Capa et de Taro. L'identification a été facilitée par un marquage des négatifs à l'encre blanche, Ch pour Chim, T pour Taro, C ou Capa pour Capa."

Le nombre de photos de Chim est la première surprise annoncée par l'ICP. Le photographe polonais David Szymin, qui prit d'abord le pseudo de Chim, puis le nom de David Seymour, immigré en France en 1931, a longtemps travaillé pour les hebdomadaires Regards et Vu. Pendant le Front populaire, il réalisa certaines de ses photos les plus célèbres. C'est lui qui introduit son ami Friedmann, le futur Capa, auprès de ces journaux (comme son autre ami Henri Cartier- Bresson, troisième membre du trio qui fonda l'agence Magnum en 1947).

Difficile d'imaginer deux êtres aussi différents. En Espagne, Chim, crâne dégarni, le nez chaussé de petites lunettes, circule en costume-cravate, tout le contraire du baroudeur Capa, avec son look de Gitan et de risque-tout. Chim va lui aussi, dès les premiers jours, couvrir la guerre d'Espagne, pratiquement sur tous les fronts. Même s'il est plus à l'aise dans les photos de victimes de la guerre, civils et surtout enfants, dont il se fera une spécialité, il réalise aussi des photos de guerre.

On trouve également dans ses négatifs de très belles séries de portraits, particulièrement ceux du poète Federico Garcia Lorca, assassiné le 18 août 1936, et de la Pasionaria, la dirigeante communiste. Pour Ben Shneiderman, le neveu de Chim, la découverte des milliers de négatifs de son oncle est une bénédiction. Elle va permettre de réévaluer son travail : "Quelle émotion extraordinaire quand j'ai vu dans les négatifs la photo la plus célèbre de mon oncle représentant une femme allaitant un bébé en regardant le ciel comme si elle craignait un bombardement. Le style de Chim, je peux le reconnaître simplement en regardant les photos, il obtenait la confiance des gens qu'il photographiait. Ce qui est extraordinaire chez Capa, Chim et Cartier-Bresson, les fondateurs de Magnum, c'est combien leurs styles étaient différents et combien ils se sont apportés les uns aux autres, parce qu'ils étaient complémentaires."

Ces valises, qui ont permis de découvrir de nombreux inédits, n'apportent rien de nouveau sur la polémique autour de la photo du milicien qui tombe, icône contestée de Capa.

Parmi les découvertes les plus intéressantes dans les négatifs de Capa, il y a des photos très émouvantes de réfugiés du camp d'Argelès en 1939, et des vues prises pendant les combats de rue à Teruel, dignes de la bataille de Stalingrad. A partir de ce matériel inédit, l'ICP prévoit deux expositions à New York en septembre 2010, l'une sur Chim, et l'autre sur les valises, qui fera également l'objet d'un documentaire sur lequel travaille Trisha Ziff.

Michel Lefebvre
Article paru dans l'édition du 08/05/2009.

 


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Le texte provient du journal Le Monde et du site Photographie.Com.

 

Créé le 8 février 2008; Mis à jour le 18 février 2013
© Pierre J.