Un film espagnol tente de résoudre les énigmes qui entourent l'icône de Capa


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On en n'aura jamais fini avec la photo la plus controversée de l'histoire : Robert Capa a-t-il saisi sur le vif ou mis en scène, en 1936, le milicien fauché par une balle lors de la guerre d'Espagne ? Un documentaire, L'Ombre de l'iceberg, consacré à ce document mythique - sorti dans les salles espagnoles en décembre 2008 -, relance le débat. En 75 minutes, les Espagnols Hugo Doménech et Raúl M. Riebenbauer reviennent sur les questions de base : qui est ce milicien ? Qui a pris la photo ? Où ? Comment ?

La photo est reproduite pour la première fois dans le magazine français Vu, le 23 septembre 1936. Dans la même page est publiée une autre photo, également signée Capa, prise au même endroit mais représentant un autre soldat, lui aussi frappé par une balle. Cette curiosité, qui suggère que Capa a fait jouer la scène à deux combattants, provoque peu de commentaires pendant des décennies.

En 1975, le journaliste britannique Phillip Knightley, dans son livre The First Casualty, avance le premier la thèse d'une "photo organisée". Il fonde sa thèse sur les déclarations de O'Dowd Gallagher, un reporter sud-africain pendant la guerre civile, rapportant une conversation avec Capa où celui-ci explique comment les miliciens avaient organisé la scène pour lui.

Mais Capa, mort en 1954, n'est plus là pour répondre. Son frère Cornell, également photographe, devient alors le défenseur acharné d'une "photo prise à la sauvette". Richard Whelan, l'auteur du livre de référence Robert Capa : A Biography (Mazarine, 1985), le soutient. Depuis, des experts, journalistes, historiens ne cessent de se déchirer.

Le documentaire espagnol apporte un élément important sur un point : l'identification du soldat. En 1996, Mario Brotons, un historien espagnol, affirme qu'il s'agit de Federico Borrell Garcia, qui combattait dans une colonne anarchiste, à Cerro Muriano, près de Cordoue.

L'information est reprise dans la presse mondiale sans discussion. Mais les auteurs du film ont déniché un article d'un journal anarchiste de 1937, Ruta confederal, décrivant les circonstances de la mort de Federico Borrell Garcia : elles n'ont rien à voir avec la scène du soldat qui tombe. De plus, la comparaison de la photo de Borrell Garcia avec celle du milicien de Capa n'est pas probante - le soldat est clairement plus vieux. Bref, on ne sait toujours pas qui figure sur ce document...

Les arguments du film sont moins concluants sur une question qui semble d'ailleurs réglée : qui est l'auteur de la photo ? Capa assurent les spécialistes. Le film suggère qu'elle pourrait être de Gerda Taro, ancienne compagne de Capa, présente ce jour-là. Il est vrai qu'il y a quelque incertitude sur la paternité des images à une période où Capa et Taro ont travaillé ensemble.

Mais, selon Irme Schaber, biographe de Taro, l'hypothèse du film ne tient pas : elle utilisait un Rolleiflex (format carré) et lui un Leica (format rectangulaire). Or la photo est rectangulaire. Le film conclut encore, après enquête sur le terrain, à la difficulté de définir le lieu exact de la prise de vue.

Reste la grande affaire : comment la photo a-t-elle été prise ? Les documentaristes soulignent que durant la guerre d'Espagne les soldats posent souvent pour les photographes. Ils analysent ensuite longuement la photo et en déduisent qu'il s'agit plutôt d'une mise en scène. Ils font témoigner un légiste espagnol qui pointe l'absence d'impact de balle sur la tête comme sur la chemise, et que la position de la main gauche n'est pas naturelle. Autrement dit, la chute est mimée.

Mais Richard Whelan avait consulté un légiste américain qui arrivait à une position inverse. Sur cette approche qui vise à faire "parler" l'image, les experts risquent de se déchirer pendant des décennies, sans que l'on puisse aboutir. D'autant que la séquence entière prise par Capa ce jour-là (une quarantaine d'images) est désormais connue. Elle a été présentée lors de l'exposition "Capa at War", qui, après New York, sera présentée à Londres, avant Milan au printemps et Barcelone en juin. Richard Whelan lui-même convenait qu'une mise en scène pouvait présider à cette photo avant que, soudainement, l'ennemi se soit mis à tirer.

Un autre projet du film est de montrer que Richard Whelan et Cornell Capa, morts respectivement en 2007 et en 2008, ont eu une attitude qui, indirectement, a favorisé les soupçons sur l'image. Selon le film, ces gardiens du temple ont refusé de communiquer des documents à des journalistes et historiens dans le but de défendre à tout prix, et même contre l'évidence, l'honnêteté de Capa dans cette affaire. Patrick Jeudy, auteur en 2004 d'un documentaire non autorisé sur Capa, témoigne de cette difficulté dans L'Ombre de l'iceberg.


Michel Lefebvre

Article paru dans l'édition du Monde du 13.01.09.


Dans une interview radio de 1947, Capa révèle l'histoire derrière sa célèbre mage célèbre , "Mort d'un milicien loyaliste " sur le Front de Cordoba en septembre 1936.

Capa : Vous voyez, c'est une question difficile, parce que vous ne savez jamais si vous avez une bonne photo de presse ou non. Parce que quand vous déclenchez, presque chaque image est la même pour vous , et une photo de presse est née dans l'imagination des éditeurs et du public qui les voient.
J'ai fait, une fois , une image qui a été beaucoup plus appréciée que les autres , et je ne le savais pas quand je l'ai prise que c’était une image particulièrement bonne.
C’est arrivé en Espagne. J’étais au début de ma carrière en tant que photographe , et c’était le début de la guerre civile espagnole et la guerre avait quelque chose de romantique, si vous pouvez voir les choses ainsi.

Interviewer: Non, je ne peux pas!

Capa : J’étais là en Andalousie et les gens étaient très inexpérimentés, ils n'étaient pas des soldats , et ils mouraient chaque minute avec de grands gestes et ils pensaient que ce combat était vraiment pour la liberté et le droit et ils étaient enthousiasmes , et j'étais là dans la tranchée avec environ 20 miliciens , et les 20 miliciens avaient 20 vieux fusils , et sur l'autre colline en face de nous, les troupes de Franco avaient une mitrailleuse.
Donc, mes miliciens tiraient dans la direction de cette mitrailleuse pendant cinq minutes, puis se levaient et criaient "Vámonos!" puis sortaient de la tranchée et commençaient à avancer vers la mitrailleuse. Effectivement, cette mitrailleuse a ouvert le feu et les a fauché. Donc ce qui restait des leurs revinrent reprendre leur position en face de la mitrailleuse ce qui s’était arrêtée, ce qui était intelligent` ;, mais cinq minutes après encore ils ont dit " Vámonos ! " et sont repartis et se sont fait faucher à nouveau.
Ceci s'est répété trois ou quatre fois, donc la quatrième fois, j’ai l’idée de mettre mon appareil photo au-dessus de ma tête et même si je ne pouvais voir, de prendre une photo quand ils ont quitté la tranchée. Et ce fut tout . Je n'ai jamais regardé mes photos là-bas et j'ai envoyé mes photos à l’arrière avec beaucoup d'autres photos que j'avais prises.

Je suis resté en Espagne pendant trois mois, et quand je suis revenu j'étais un photographe très célèbre parce que la caméra que je tenais au-dessus de la tête ait pris un homme au moment où il a été abattu.

Interviewer 2: Ce fut une grande image.

Capa : C'est probablement la meilleure photo que j’ai jamais prise. Je n'ai jamais vu cette photo dans le viseur parce que la caméra était bien au-dessus de ma tête.

Interviewer 2: Bien sûr, mais c'est une condition que vous avez créée vous-même, Bob, pour e d'obtenir une image comme celle-ci, vous avez passé beaucoup de temps dans les tranchées.

Capa : Ouais, cette habitude que je voudrais perdre .

 


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Le premier texte provient du journal Le Monde en 2009.
© Michel Lefebvre / Le Monde


L'enregistrement de 1947 a été trouvé par le conservateur en chef de l'International Center of Photography Brian Wallis.
Il a été rendu public pour célébrer le 100e anniversaire de la naissance de Capa en 2013

Créé le 13 janvier 2009, Complété le 8 novembre 2013
© Pierre J.