La saga des "F" 
 

"le reportage de fond à l'agonie"



Emeutes à Brixton (juillet 1981 Londres)

crits il y a plus de vingt ans, on peut comparer ces propos à ceux que tiennent les acteurs du milieu de la presse d'aujourd'hui, recueillis à l'occasion d'un mémoire de maïtrise de sciences de l'information, rédigé par Frédéric Moucheron en 1996 et intitulé " Sous le poids des maux, la chute des photos ".
Aujourd'hui, l'actualité non spectaculaire comme les phénomènes sociaux, les transformations sociologiques, la vie quotidienne? ne sont plus traités en images. Cela n'intéresse ni la presse ni les agences. " Qui, récemment, a réalisé un travail photographique en profondeur sur le chômage ? Qui est allé s'installer dans une cité de Marseille ? Personne ! " s'indigne Patrick Zachmann, de Magnum. Raymond Depardon ne dit pas autre chose quand il affirme que " le vrai photojournalisme, c'est le "feature", le reportage de fond en plusieurs images sur un fait d'actualité. Le problème, c'est que ça n'existe plus dans la presse, tant le "newsmagazine" n'a plus grand chose à voir avec le reportage ". Pour Marc Garanger, " il n'est qu'à feuilleter la presse française pour constater qu'il y a de moins en moins de grands sujets photographiques. Info matin avait fait l'effort de développer une politique de l'image un peu plus audacieuse, reconnaît Marc Garanger. Il y avait souvent une double page au centre, avec des grands sujets en cinq ou six photos. Ce journal, au contraire de beaucoup d'autres, essayait vraiment de donner la parole à un photographe à travers ses images. Ouvrez Le Figaro, vous ne trouverez jamais cela." Aujourd'hui, rares sont en effet les photographes qui prennent leur temps et qui parviennent à imposer aux journaux de grands sujets d'actualité.

Mariage de Lady DI (Juillet 81 Londres)


L'exemple de Sebastiao Salgado est, à ce titre, significatif: " A Gamma, je ne pouvais pas travailler comme je l'entendais. Il fallait sauter d'un sujet à l'autre. Je suis alors entré à Magnum, parce que tout mon travail est fondé sur le concept du temps. J'ai photographié pendant plusieurs années la famine au Sahel. J'ai croisé des photographes qui restaient dix ou quinze jours et qui étaient obligés de rentrer pour "tenir" les bouclages des journaux. Ils étaient au Sahel pour "voir" une réalité, pour capter l'image symbolique que désirent les journaux. Je suis conscient qu'il est très difficile de rester longtemps. Il faut s'en donner les moyens. Pour ma part j'avais le soutien logistique d'une organisation humanitaire. Résultat : j'ai tout de même fait 664 parutions sur le Sahel..."
Mais l'exemple de Sebastiao Salgado n'est malheureusement qu'une exception dans le monde actuel de la photographie de presse. Ce qui manque un peu partout, ce sont des signatures comme celle de Capa durant la guerre d'Espagne, de Mc Cullin en Irlande du Nord, de Larry Burrows au Vietnam, d'Eugene Smith au Japon, etc. Autant de grands talents qui on écrit des pages importantes de l'histoire de la photographie.

Emeutes à Berlin-ouest (septembre 81)

Mais, comme le constate avec dépit Christian Caujolle, de l'agence Vu : " En dix ans, le photojournalisme a perdu dans les magazines illustrés 50% de surface ". Le problème, comme on a déjà pu le constater, est que le marché s'est rétréci, alors que la profession a connu, en dix ans, une augmentation phénoménale du nombre de photographes. L'économie du secteur est malade. La presse illustrée est fragilisée, les budgets des rédactions ont été réduits, le prix des images a baissé, les financements des reportages par les magazines se sont raréfiés. La photo de presse est souvent réduite à de la simple illustration. Le poids de la télévision est écrasant. Le style même des images a changé. La photo de Doisneau est balayée par l'image mise en scène. Le succès des photos dites " people " - princesses, stars du cinéma et de la télévision - a déteint sur la grande actualité. " On ne montre plus l'événement mais ceux qui le font ", constate Alain Mingam. Le drame bosniaque ? " On montre Miss Sarajevo... " fulmine Christian Caujolle.

Frédéric Moucheron.